Distanciation sociale: à long terme, une tragédie

Flash-back. Australie, quelque part sur la côte est, 2007. Discussion avec ma voisine de camping, qui s’enquiert de mes origines.

– Ah, la France! J’ai visité Paris il y a quelques années. Je me suis étonnée de ne pas recevoir de réponse quand je disais bonjour aux gens dans la rue.
– Vous voulez dire des gens que vous ne connaissiez pas ? Mais… si vous dites bonjour à tout ceux que vous croisez, vous allez y passer la journée !
– Aaaahhh, c’est pour ça ! Vous savez, moi j’habite l’outback australien. Si je croise quelqu’un je le salue, parce que je risque de ne croiser personne d’autre de toute la semaine.

Car les rencontres sont souvent l’essence d’un voyage. Bien sûr, comme souvent, c’est une question de goût. Un voyage contemplatif en isolation dans la nature est également une expérience fascinante. Mais quel plaisir de passer ne serait-ce que quelques instants à l’autre bout du monde à échanger regards curieux, sourires gênés, petites histoires du quotidien ou roman d’une vie, dans un anglais approximatif, dans une tentative de langage local, ou simplement avec quelques gestes inventés pour l’occasion.

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Mes meilleurs souvenirs de voyage ? Je vous en jette quelques-uns en vrac.
Le vieux Chilien grondant rencontré dans une auberge à Ushuaia, qui déroule sa vie somme toute banale comme s’il avait frôlé la mort à chaque coin de rue.
Le chercheur d’or avec qui j’ai trinqué dans un bouge amazonien au coeur de la Guyane Française, qui m’a donné l’impression d’être dans un film d’aventure.
Le conducteur de tuk-tuk de Phnom Penh avec qui j’ai passé l’après-midi à boire des bières bon-marché dans son véhicule garé en plein soleil.
Le propriétaire d’un écolodge perdu dans un village de montagne en Chine dont le vocabulaire anglais se réduisait à deux mots: « breakfast » et « tomorrow ».
La famille balinaise chez laquelle j’ai passé une dizaine de jours, meilleure chambre, meilleure cuisine, et meilleur massage de toute l’île (demandez-moi l’adresse).
La famille de Mendoza, Argentine, chez qui j’ai fêté Pâques 2007 et qui m’a donné l’impression d’être chez papy-mamie.
John, guide de quelques jours à Darwin, Australie, Crocodile Dundee dans la vraie vie.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive et j’en ai exclu par exemple tous ceux qui sont devenus mes amis.

Birmanie037

Nombreux aussi sont les rassemblements sociaux et évènements culturels qui m’ont marqués et ont contribué à ce que je suis aujourd’hui. Encore une liste en vrac !
Festival de la Pentecôte à Urubamba au Pérou, cérémonies religieuses au Tibet, festivals bondés tout l’été à Tokyo, film bollywoodien dans un cinéma de Delhi, marchés colorés tout autour du globe…

Marché sur le Lac Inle

Bien entendu, la distanciation sociale est nécessaire, inévitable, vitale… à court terme. Je lis et j’entends ici et là parler des « nouvelles normes » à venir. De voyages où tout risque sanitaire est éliminé, où la distanciation sociale est respectée, où les gestes barrières sont imposés.

Ce voyage aseptisé, je vous le dis tout net, je n’en veux pas.

Rassurez-vous, je suis loin d’être un trompe-la-mort. Il n’est pas question ici d’aller coller sa langue sur une rampe d’escalier du métro en heure de pointe. Ni de débarouler dans les bas-fonds d’une favella pour aborder quelque individu arborant un calibre 38 et douter ouvertement de la morale de sa génitrice.

Je parle simplement d’accepter le risque d’un transit intestinal perturbé pendant quelques jours comme conséquence d’un des meilleurs moments de votre vie dans ce resto de rue, ou de se faire arnaquer de quelques euros par un chauffeur de taxi peu scrupuleux.

Je parle aussi et surtout de ne pas laisser un virus, aussi méchant soit-il, nous mettre dans la tête qu’on est mieux chez soi, qu’on aurait bon compte de surtout ne plus jamais parler aux gens ou en tout cas à plus d’un mètre de distance. Et de ne voyager que dans des hôtels en mesure de présenter un certificat de désinfection horaire en bonne et due forme.
Au Japon, où je vis depuis maintenant deux ans, existe un phénomène social appelé hikikomori. Touchant patriculièrement les jeunes adultes, il s’agit d’un syndrome poussant à se couper de toute interaction sociale et à vivre dans l’isolation la plus totale.
Je vous assure que ces jeunes ne sont pas heureux.

L’homme est un animal social. Nos interactions sont passionnantes et valent largement le risque. Mesuré, mais un risque tout de même.
Le confinement, la distanciation sociale, sont utiles pour faire barrage au virus. Maintenant. Mais quand la tempête sera passée, je vous en conjure, oublions tout ça et recommençons à nous faire des bisous.

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